Les crissements de chaises envahirent soudainement l'espace. Une grimace déforma son visage, tandis qu'elle s'obstinait à contempler son classeur encore ouvert. Les mots ne semblaient plus avoir grand sens en cet instant. Pourtant, elle les comprenait. Ou du moins, elle comprenait de quoi il s'agissait. Un rictus éhonté étira vaguement ses lèvres. Elle avait connaissance d'une réalité qui n'était pas la sienne, et qui ne l'avait jamais été. Mais elle savait, malgré cela, les horreurs et les conséquences de la Seconde Guerre Mondiale. Non pas qu'elle se sentait concernée, mais... En réalité, si. Elle possédait, malgré elle, cette petite pointe de conscience illusoire, qui la rapprochait sensiblement de cette période. Un soupire lui échappa, et elle se releva de toute sa hauteur. Là, quelques regards incrédules l'observèrent, témoignant d'une certaine crainte qui la fit frémir de plaisir. Elle n'avait rien perdu de sa prestance visiblement. Quelques uns de ces collègues lui avaient d'ailleurs confessé qu'elle était, et de loin, le professeur le plus redouté ici. Élèves, compères, parents ; tous craignaient ses foudres. Et ils avaient raison.
- Excusez-moi... Madame ?
Regina toisa le visage incertain du malheureux étudiant qui se tenait face à elle. Les épaules relevées, cherchant sans doute à disparaître dans son propre corps pour avoir eut l'audace de l'interpeller, l'imprudent peinait à soutenir son regard. Un instant, elle retrouva la gloire d'antan. Puis, forçant un sourire, elle hocha la tête.
- Oui ?
- J-j-je...
Regina arqua un sourcil, légèrement agacée. Mais elle se devait d'être compréhensive, et avenante. Un de ses collègues, avec qui elle batifolait quelques soirs, lui avait implicitement conseillé de se montrer moins froide. Ce qu'elle s'efforçait d'appliquer. Enfin... en théorie.
- Mais encore ?
- Je-je vous rends mon-mon devoir...
- Et bien ! Tout ça pour cela !
Elle ferma les paupières quelques secondes, tout en avalant une profonde gorgée d'oxygène. Elle se fit, une fois de plus, violence pour afficher une moue conciliante.
- Merci.
Le pauvre agneau balbutia quelques remerciements hésitants, puis s'échappa rapidement de la classe. Regina releva finalement les yeux au ciel, tandis qu'elle se rasseyait lourdement. Décidément, cette vie était loin de correspondre à ses attentes. Mais n'était-ce pas elle qui l'avait cherché ? Un soupire lui prit la gorge. Elle contempla longuement la pluie battre sans ménagement les carreaux. Un bruissement de pas résonna alors dans la classe, mais elle ne prit pas la peine de détourner son attention.
- Quoi, encore !?
Fuyez votre vraie nature, et elle revient au galop dit-on. Finalement, elle posa ses prunelles brunes sur ce qu'elle pensait être un étudiant. Son cœur rata un battement lorsqu'elle identifia enfin son interlocuteur. Se relevant subitement, le corps tendu à son paroxysme, elle siffla entre ses dents, acerbe :
- Toi !... qu'est-ce que tu fais ici !?
Regina déglutit, balayant la porte encore entrouverte du regard, puis se concentra entièrement sur lui ; Peter Pan.